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presse |
Egoïste dans un corps en solo |
"Ça ne va pas ? Vous avez l'air tout
sombre
", s'inquiète la voix d'Anna karina, ouvrant dans le vif le premier
album de Jean Bart : "J'ai un teint trés pâle parce que je
reste quasiment toute la journée enfermé dans ma cave à faire mes chansons. Lorsque les
gens me le font remarquer, je leur réponds que c'est parce que je suis sombre à
l'intérieur."
Drôle de type. Citoyen suisse de 32 ans, ancien publicitaire devenu ermite, il a
choisi ce nom de corsaire en pointant son index au hasard sur un dictionnaire. Drôle de
disque : Egoïste dans un corps en solo, bâti sur deux où trois choses fragiles
que ce fan de Godard sait de la chanson : "Une petite histoire, une émotion, une
constatation." L'envie d'appartenir au cirque impitoyable des professionnels
de la profession a tout juste effleuré ce cousin helvétique de Dominique A. Il lui
a aussitot tourné le dos :
"J'ai commencé à enregistrer quelques titres sur des cassettes et l'une d'elle
a atterri chez Jean-Jacques Burnel qui a aussitôt accepté de me produire. Nous avons
fait le tour des maisons de disques, certaines étaient interessées mais les choses
avaient du mal à se concrétiser. J'ai préféré tout laissé tomber, y compris l'idée
d'un producteur, pour finalement faire mon disque tout seul dans ma cave avec huit pistes
maximum (un titre a été improvisé sur un parking avec le bruit ambiant de la
pluie) et juste quelques instruments peu perfectionnés." Une boite à
rythmes qui pleure des bossas chétives ou sert à peine de métronome, un sequencer de
bas de gamme, des guitares patiemment égrénées et une voix fluette, comme blanchie elle
aussi de n'avoir pas assez vu la lumière.
Cinq cents exemplaires d'Egoïste dans un corps en solo ont été pressés
et Jean Bart jure qu'il n'y en aura pas un de plus. "Je les diffuse au
compte-gouttes, dans le seul but de recueillir suffisamment d'argent pour en faire un
second." Comme l'auteur de La Fossette, Jean Bart est un chanteur
irréaliste. Des origines imprécises, une séduction qui s'opère en douceur, presque
malgré soi, et des mots futiles qui, diaboliquement, deviennent indispensables.Christophe Conte (Inrocks, nov. 93) |
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