Au nom d'un certain sens de l'économie, d'un vrai don pour le bricolage et de quelques
inflexions touchantes, il serait tentant de ranger Jean Bart dans la
vitrine des musiques en modèle réduit, de joindre Il le faut à cette
collection de bibelots sonores inaugurée il y a deux hivers par La Fossette.
Le personnage (un autarcique qui se contrefiche des records de vente et des productions
clinquantes) et sa carte de visite (des chansons démaquillées et déconcertantes)
tendent à vérifier une nouvelle fois que l'équation " petits moyens = grands
risques" n'est pas invraisemblable. On irait même jusqu'à coller dans les pattes de
cet ours helvète un livret de famille et un poste à responsabilités - Jean Bart,
gérant le compte en Suisse du cousin Dominique A., en l'occurence.
Il le faut a effectivement une manière de flirter avec le suicide commercial qui
n'est pas sans rappeler une certaine école minimaliste mais se garde bien d'aller narguer
par la même occasion le néant artistique. La rigueur musicale et littéraire qui
l'entoure l'interdit de céder aux sirènes de l'imprécision, aux charmes commodes de la
main qui tremble. Jean Bart, fin guitariste, pianiste inspiré, a sans doute évalué les
dangers des chanson-bonsaï qui marient souvent l'irrévérence et la marginalité, mais
jonglent avec trop peu d'instruments et de sources d'inspiration pour être à l'abri du
conformisme et des procédés. Ce n'est donc pas ici que l'on croisera le classique
"le monde est tellement méchant", idée fixe d'une cargaison de petits
chanteurs effarouchés, retranchés derrière leurs volets avec une provision de
mélodies-broutilles. Bien que claquemuré dans sa cave, Jean Bart n'est pas coupé des
réalités et dédaigne ces musiques en position foetale, qui se recroquevillent dans le
confort des comptines et la tièdeur du mal de vivre.
Il le faut est un disque adulte et volontaire, où l'on découvre un musicien
tour à tour assombri (Intérieur), sexué (Trique-trac), canaille (Mensonge).
Comme le proclamait son premier album, Jean Bart est un Egoïste dans un corps en solo
: il ne compose pas à l'amiable, ne part pas à la pêche aux complices. Bouclé en
vingt-cinq minutes, onze chansons, quelques monologues et une poignée de bandes-son
intimes, son album brandit le je sans jamais flatter le on. Pas d'états d'âme de
génération ni de grands malaises garantis d'époque, Jean Bart est bien tout seul dans
son disque. On ne le remerciera jamais assez d'avoir si bien su nous parler de lui.
Richard Robert (Inrocks, été 94)