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presse |
Il le faut |
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"Je sors rarement de mon studio. Je quitte mon
appartement le matin pour venir travailler et réfléchir ici. Le soir, il m'arrive de
voir des amis, mais c'est bien tout. De toute facon, sorti de Genève, la Suisse pour moi,
c'est la mort à coup sûr."
Seul un pseudonyme sépare Massimo, citoyen italien installé en Suisse depuis sa plus
tendre enfance, de Jean Bart, musicien oeuvrant dans son studio-bunker de
Genève. On cherchera en vain chez le premier un geste, une parole, qui soient en
porte-à-faux avec l'intransigeance tranquille du second, cette franchise paisible qui a
abouti à l'impensable perfection d'Il le faut, à ces mots jamais croisés
auparavant, cette cohérence et ce cran rarement affichés dans les rangs francophones. On
rêvait depuis longtemps d'une musique aussi affranchie - avec un CV qui, à dessein,
n'aligne aucune référence, ni pedigree ni tatouage -, on oubliait qu'elle pouvait exiger
de son auteur autant de bravoure et de don de soi. |
Car Jean Bart refuse de partager les mythes d'une jeunesse rock à l'appétit d'oiseau
-"Au lycée, le rock, je trouvais ca banal et con, ca m'endormait" - et
rêve de voler plus haut : "J'ai voulu élever la chanson au rang d'art majeur,
que les gens entrent dans mon disque comme dans un musée avec le même respect."
Pas étonnant qu'il garde l'esprit rivé sur le cinéma - des premières amours dont
il ne se sépare jamais -, puisqu'il s'acharne à "fabriquer du temps",
à retrouver une lumière, des couleurs que sa mémoire, un jour, a impressionnées.
Quatre ans sans prendre de vacances ("A quoi bon partir s'il faut revenir ?"),
au moins dix heures de studio six jours sur sept : dans ces colonnes, Jean Bart ouvrira le
mois prochain les portes de son enfer heureux, de son sacerdoce forcené. "L'enfer,
c'est plus sûr, l'éden est trop mal coté", peut-on entendre dans Il le faut.
Richard Robert (Inrocks, nov.94)
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